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Critique d’art sur Internet : Tentative de typologie d’une blogosphère spécifique

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La version originale de ce texte a été publiée dans le numéro Hors Série n°1 de la revue Marges, printemps 2014.

Il a été écrit en février 2013, ce qui explique que certaines informations ne sont plus tout à fait d’actualité.

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Le contexte

Même si certains sites comme Technorati se sont fait une spécialité de l’étude statistique des blogs avec leurs rapports annuels sur l’état de la blogosphère[1], étudier les blogs se révèle être une entreprise assez ardue. La tâche est d’autant plus difficile dès lors qu’on s’attache à la niche que constituent les blogs proposant un discours sur l’art (le tag « art » arrive en 15e position dans le classement Technorati 2011, mais dès qu’on y regarde de plus près, on se rend compte que ce tag concerne en grande majorité des blogs consacrés à la décoration ou à la mode).

Dans la première période de leur popularisation (entre 2000 et 2006[2]) les blogs ont fait l’objet de nombreuses études de la part de sociologues ou d’anthropologues, parce qu’ils étaient en grande partie constitués de blogs autobiographiques, journaux personnels ou « extimes[3] », online diaries, etc. ; ou encore de la part des spécialistes des TIC intéressés par le mode de diffusion des blogs et le nouvel usage que semblait constituer ce phénomène.

Passé l’intérêt sociologique ou anthropologique pour le récit intime, il existe peu d’études consacrées aux blogs spécialisés hormis ceux consacrés à la cuisine (domaine qui regroupe le plus de création de blogs) ou, dans une moindre mesure, à la mode. À de rares exceptions, on ne relève que peu d’études scientifiques sur les blogs de la période récente dans l’espace francophone ou anglophone, et cette tendance est encore plus flagrante depuis le tournant constitué par le développement des réseaux sociaux de 2006.

À noter également que s’il existe quelques études sur les blogueurs, il n’existe, à ma connaissance, quasiment aucune étude qualitative sur leur public. En outre, depuis l’avènement de Facebook et plus encore de Twitter (lancés tous deux en 2006), on assiste à la diminution de la création de blogs « journaux personnels », ces moyens de diffusion se révélant plus simples d’utilisation et davantage en adéquation avec les dernières innovations technologiques grand public (smartphones, tablettes, etc.).

Enfin, il faut ajouter que les blogs sont des supports éphémères et relativement chronophages pour leurs auteurs. Passé l’engouement des premiers posts, beaucoup disparaissent ou ne sont plus alimentés. Je me suis donc cantonné à étudier les blogs ayant encore une activité régulière en décembre 2012.

Blogs vs presse traditionnelle

De manière assez évidente, ce qui pourrait caractériser le blog est l’absence d’une structure décisionnaire chargée du choix de la publication des contenus et d’insuffler une ligne éditoriale. Le blogueur est généralement le seul maître à bord : il décide de ce qu’il écrit, de la manière dont il l’écrit, de l’iconographie, etc.

Il existe de nombreux sites internet collaboratifs qui fonctionnent a priori sur le modèle du blog et qui distillent une actualité de l’art rédigée par des amateurs ou des critiques d’art reliés à ces structures. On pense à paris-art.com, fluctuat, evene, exponaute ou encore slash. Chacun de ces sites – pour la plupart relativement généralistes dans le sens où ils traitent d’actualité de la culture – fonctionne avec de multiples contributeurs. Le rôle de ces médias est essentiellement de fournir des informations sur les événements en cours. Ils se contentent parfois de reprendre les communiqués de presse pour meubler la partie purement éditoriale. La majorité d’entre eux doivent leur survie aux recettes publicitaires et aux partenariats qu’ils développent, mode de fonctionnement qui a évidemment une incidence sur le contenu des articles publiés dans leurs colonnes.

Toutefois, il paraît difficile de considérer ce type d’usage comme assimilable à un blog dans le sens où ce qui caractérise le blog est la prédominance de la décision individuelle dans le choix de ses contenus. On pourra opposer à cela qu’il existe des blogs dont le choix des contenus peut être orienté par des contraintes économiques liées aux nécessités de référencement (parler d’une exposition blockbuster apporte plus de lecteurs que de parler d’une exposition plus confidentielle), ou peut dégager des profits (apports publicitaires, affiliations Amazon, etc.) ; mais répondre positivement à chacune de ces injonctions extérieures reste une décision individuelle du blogueur.

La différence principale entre un blog et un site est qu’un blog relève d’une écriture solitaire, alors qu’un site internet – faisant intervenir plusieurs auteurs – a tendance à fonctionner comme un magazine ou une revue, c’est-à-dire avec une chaîne de décision – mais aussi un ton – similaire à celle d’un comité de rédaction de la presse traditionnelle. De cette manière – et bien que leurs publications soient aussi exclusivement réservées à la sphère du net –, j’exclus de mon analyse les sites comme lacritique.org, portraits, intertexte.fr, TK-21, etc. Il faut noter que par bien des points, ces sites internet animés par des critiques d’art miment les usages de la presse papier. Pour la plupart d’entre eux, la publication sur le web semble être davantage subie que voulue. La preuve en est que le but de la plupart de ces sites est de pouvoir, à terme, proposer une version papier de leurs contenus sous la forme d’une revue ou d’un magazine traditionnel (c’est ce qui ressort d’une rencontre entre divers acteurs artistiques du web qui s’est tenue le 10 avril 2012 à l’Institut suédois de Paris, à l’initiative de Jens Emil Sennewald[4]).

On pourrait dire que la popularité des blogs consacrés à l’art contemporain est due à la défiance d’une partie du public de cet art à l’égard des médias traditionnels. En effet, la majorité des magazines d’art contemporain ont renoncé à une pratique de la critique d’art libre, dans le sens où ils sont à la fois contraints par des impératifs de vente et des impératifs publicitaires. Parallèlement à cela, il devient compliqué pour un magazine comme Artpress, par exemple, de remettre en question la programmation d’un lieu institutionnel ou d’une galerie importante alors même qu’une grande partie de ses recettes publicitaires provient de ces réseaux. Il découle de ce contexte que de moins en moins d’espace semble consacré à la critique d’art dans les journaux et les hebdomadaires, alors même que les visites d’exposition sont une pratique culturelle qui se développe chez nos concitoyens. Une situation similaire existe aux États-Unis et a été décrite par Terry Teachout[5] dès 2005. Pour lui, c’est la nullité de la critique d’art (cinéma, musique, arts plastiques, spectacles vivants, etc.) – combinée avec le peu de place accordée à la critique d’art dans les journaux généralistes – qui a conduit certains internautes à prendre la parole en créant des blogs spécialisés et souvent bien mieux documentés que la presse. On verra cependant que la prétendue liberté de ton évoquée par Terry Teachout dans les blogs est en partie une pétition de principe. Dans les faits, l’impression générale est une imitation du discours canonique de la critique d’art légitimé ou de l’histoire de l’art, hormis peut-être chez certains auteurs ayant – ou ayant eu – une activité de critique d’art dans la presse traditionnelle.

L’autre élément pouvant expliquer la popularité des blogs est les nouvelles habitudes de recommandation de personne à personne prises avec l’avènement du web 2.0. Par exemple, un site commercial comme Amazon fait appel à ses clients pour noter ses produits, n’hésitant pas à laisser publier des notes négatives. De la même manière, un site comme Facebook fonctionne lui aussi par recommandation avec les « j’aime » et son fil de l’actualité qui permet de suivre les activités de ses « amis ». De la même manière, les blogs qui participent à la sphère du web 2.0 fonctionnent par recommandation : on suit un blog qui est « l’avis » (pour reprendre les termes d’Amazon) d’un auteur (ou d’un consom-acteur). Il faudrait aussi ajouter à cela une impression de proximité qui n’existe pas dans la presse artistique, où l’on cherche davantage à prolonger les exercices de la distinction. À noter également que la plupart des blogs consacrés à l’art contemporain sont hébergés chez des hébergeurs généralistes (blogspot, wordpress, etc.), même si l’un des plus populaires (Lunettes Rouges) est hébergé sur le site d’un prestigieux quotidien traditionnel (lemonde.fr).

Ainsi, je choisirai de différencier ce qui relève de la critique d’art sur Internet (sites avec des rédacteurs plus ou moins professionnels[6]) et de la critique d’art dans les blogs. J’exclus aussi de mon étude les blogs consacrés à l’art contemporain qui se contentent d’être des plates-formes d’échange d’informations (annonces de séminaires et d’expositions, parutions, appels à contribution, etc.). Enfin, je me cantonne à la sphère française, c’est-à-dire aux blogs animés par des auteurs francophones traitant majoritairement de l’actualité artistique hexagonale.

Je vais maintenant tenter de dresser une typologie des blogs consacrés à l’art contemporain. Je commencerai par une typologie liée au statut des auteurs, puis présenterai une typologie liée à la nature des textes publiés. La première typologie est motivée par l’essence de ce qu’est un blog, c’est-à-dire une « signature ». En ce sens, il me paraît important de voir d’où parle l’auteur. La seconde typologie recoupe en partie la première, dans le sens où, dans le monde de l’art contemporain, les frontières entre les professionnels et les amateurs, entre le monde institutionnel et le privé, entre support numérique et support papier, sont particulièrement perméables. Une typologie se basant sur la nature des textes postés dans les blogs renseigne sur la sphère à laquelle appartient, ou tente d’appartenir, son auteur, sur son imaginaire social. Je précise que cette dernière catégorie est principalement empirique – c’est-à-dire liée à mon expérience de lecteur et de blogueur – et qu’elle ne procède en rien d’une critériologie a priori basée sur une étude littéraire ou sociologique dont je ne maîtrise pas les outils. Cette dernière typologie est donc largement lacunaire, mais il me semble nécessaire d’en esquisser une première ébauche étant donné que rien n’existe à ce propos pour le moment.

Gregory

Gregory

Typologie des blogs liée au statut des auteurs

Typologie selon la nature des auteurs

On pourrait classer les blogs en deux catégories selon la nature de leur auteur : les blogs de critiques d’art et les blogs d’amateurs d’art. On désigne par « critiques d’art » les auteurs ayant une activité rédactionnelle liée au monde de l’art (journaux, revues, magazines, catalogues, etc.). On désigne par « amateurs d’art » les auteurs n’ayant pas une activité rédactionnelle liée au monde de l’art en dehors de leur blog. Cette dernière catégorie peut également englober les auteurs qui ont une activité non-rédactionnelle dans le monde de l’art (des artistes par exemple). Toutefois, il arrive que certains amateurs se muent en critiques d’art avec le temps. C’est le cas de Marc Lenot avec son blog Lunettes Rouges, qui est devenu incontournable au fil des ans, et donc prescripteur, avec une moyenne de 2 800 visiteurs uniques quotidiens et une vingtaine de billets par mois. À noter que Marc Lenot est devenu adhérent de l’AICA (Association internationale des critiques d’art) en raison de son activité de blogueur.

Les catégories énoncées ne sont toutefois pas totalement perméables. Par exemple, la plupart des critiques d’art qui tirent une partie de leurs revenus de cette activité n’en tirent aucun directement de leur blog. Cela rend alors difficile de déterminer des catégories de blogueurs dans le champ qui nous intéresse selon les catégories proposées notamment par Technorati. Toutefois, la typologie proposée par Technorati peut avoir une certaine utilité dans notre champ. Technorati distingue cinq catégories[7] : les hobbyistes, qui représentent 60 % des blogueurs et qui font un blog pour s’amuser et par satisfaction personnelle ; les semi-professionnels, qui tirent une partie de leurs revenus de leur activité de blogueur ; les professionnels, qui tirent l’essentiel de leurs revenus de leur(s) blog(s) (ces deux dernières catégories représentent 18 % des blogueurs) ; les blogueurs corporate, qui sont associés à une entreprise ou une marque en particulier ; et les entrepreneurs, dont le blog est une vitrine de leur activité (conseil, technologie, communication, etc.).

Si l’on tente d’appliquer cette grille aux blogs artistiques, on peut d’emblée exclure la catégorie des blogueurs professionnels, car aucun blogueur français ne dégage suffisamment de revenus pour constituer un salaire. On ne connaît pas non plus de blogueurs payés par une institution ou une entreprise pour rédiger un blog sur l’art. Reste alors trois catégories dans lesquelles classer les blogs sur l’art : les hobbyistes ; les semi-professionnels ; et les entrepreneurs.

Parmi ces trois catégories, les hobbyistes semblent les plus faciles à circonscrire : il s’agit des blogueurs qui parlent de leur passion pour un artiste, une thématique artistique, etc., avec une grande spontanéité. Leurs posts sont souvent peu réguliers et il arrive que leurs blogs restent inactifs durant de longues périodes. En revanche, il est plus ardu de décrire précisément ce que recoupent les catégories semi-professionnels et entrepreneurs.

Si l’on sait qu’aucun blog consacré à l’art ne parvient à dégager des revenus suffisamment conséquents pour que cette activité devienne une activité principale (du moins dans la sphère géographique qui nous intéresse), il existe cependant quelques blogueurs qui tirent certains revenus de leurs blogs, qu’il s’agisse de recettes publicitaires ou de programmes de partenariat (de quelques dizaines à quelques centaines d’euros par mois). Cela pourrait faire de ces acteurs de semi-professionnels dans la typologie de Technorati.

Par ailleurs, des blogueurs ont acquis leur notoriété – et donc une légitimité dans le monde de l’art – grâce à leur activité de blogueur. Même si les cas de critiques d’art ayant débuté avec un blog restent très marginaux (Marc Lenot, alias Lunettes Rouges, Julie Crenn[8], etc.), gageons que ce profil tendra à se développer à l’avenir. A priori, un blog comme celui de Marc Lenot ou celui de Julie Crenn devrait entrer dans la catégorie Technorati des semi-professionnels, mais ce serait oublier que ce blog constitue aussi une vitrine pour son auteur.

En effet, Lunettes Rouges permet à son auteur de bénéficier de voyages de presse, d’envois de presse et d’offres de collaborations institutionnelles, sans oublier toutes les autres formes de distinctions dont regorge le monde de l’art. Le fait que le blog Lunettes Rouges opère comme une vitrine – même si ce n’est pas le premier effet recherché par son auteur – le positionnerait davantage du côté des entrepreneurs. Le cas est similaire pour Julie Crenn, qui a commencé à écrire sur l’art dans un blog, pratique qu’elle a pu ensuite valoriser auprès de diffuseurs traditionnels de la critique d’art. En continuant d’alimenter son blog, Julie Crenn poursuit sa stratégie promotionnelle qui renforce sa crédibilité sur le net. Cette perméabilité entre semi-pro et entrepreneur semble se vérifier pour nombre de blogueurs ayant une activité rémunératrice dans le monde de l’art (critiques d’art, commissaires d’exposition, enseignants, artistes, etc.), ou une forme de notoriété dans ce champ.

Deux sous-catégories des blogs de critiques d’art

Parmi les blogs de critiques d’art, on pourrait établir deux sous-catégories : les blogs contenant des textes originaux et les blogs « vitrine ».

Les blogs contenant des textes originaux, spécialement écrits pour le blog, sont animés par des critiques d’art dont les motivations sont multiples : elles sont liées soit à la perte d’une tribune régulière dans la presse généraliste, soit au fait qu’ils considèrent que leurs textes ne trouveront pas preneur dans la presse, soit à une nécessité d’autopromotion, soit à une nécessité de visibilité en vue de retrouver une tribune régulière, soit encore à la quête d’une plus grande liberté d’expression que l’on ne trouve pas (ou plus) dans la presse classique ; ce peut être aussi pour un peu de chacune de ces raisons. Des critiques d’art renommés développent des blogs avec des textes originaux, comme Élisabeth Lebovici avec Le Beau vice[9] depuis 2006, au moment où elle quitte Libération. Son blog est extrêmement fourni, avec 256 articles publiés en 2012.

Les blogs « vitrine » reprennent des textes déjà publiés ailleurs. Ils sont essentiellement motivés par une nécessité professionnelle de visibilité (l’aspect de diffusion étant réglé par la première publication) à des fins autopromotionnelles. Le blog sert simplement à publier les articles déjà diffusés sur des supports institutionnels (catalogues d’exposition, brochures, etc.), commerciaux (galeries privées) ou dans la presse papier traditionnelle. Il ne s’agit donc pas d’articles originaux. C’est notamment le cas pour les blogs de Tristan Trémeau[10], Cédric Loire[11], Paul Ardenne[12], Julie Crenn[13], etc.

 Trois sous-catégories de blogs d’amateurs d’art

Parmi les blogs d’amateurs d’art, on pourrait aussi établir des sous-catégories : les blogs d’amateurs d’art ayant une activité professionnelle sans rapport avec l’art ; les blogs d’artistes parlant de l’actualité de l’art ; et les blogs quasi uniquement visuels.

Les blogs d’amateurs d’art ayant une activité professionnelle sans rapport avec l’art : c’était notamment le cas pour Lunettes Rouges à ses débuts.

Les blogs d’artistes parlant de l’actualité de l’art : c’est le cas pour Ben ou encore Laurent Jourquin et son blog Pute et casse-couilles. À noter que les artistes parlant de l’actualité de l’art restent un phénomène assez marginal. La plupart des blogs d’artistes prennent la forme d’une galerie virtuelle ou d’un book leur permettant de montrer leur travail et d’avoir une présence sur la toile (ce qui se rapprocherait du blog « vitrine » de critique d’art évoqué plus haut).

Les blogs quasi uniquement visuels sont ceux dont le contenu se limite à des photographies d’expositions vues par l’auteur. Même si ce n’est pas le sujet de la présente communication, il serait intéressant d’analyser ces blogs dans le détail tant ils recèlent des photographies d’expositions amateurs. La qualité de ces images réside notamment dans le fait qu’il ne s’agit pas d’une iconographie contrôlée par la communication des institutions ou des galeries, certaines d’entre elles ayant aussi été prises dans des lieux n’autorisant pas les photographies personnelles ou lors de performances dont les artistes refusent qu’elles soient filmées ou photographiées.

Typologie liée à la nature des textes publiés

On peut distinguer sept types de textes selon leur nature propre : les textes institutionnels ; les textes analytiques ; les textes factuels ; les textes polémiques ou « anti-institutionnels » ;les textes narratifs ou « littéraires » ; les textes « spécialisés » ; et les textes sous forme de listes.

Les textes institutionnels sont des textes qui auraient pu paraître dans la presse artistique ou généraliste. Il s’agit de textes reprenant la forme argumentative et/ou descriptive de la critique d’art canonique.

Les textes analytiques expriment une volonté d’analyser l’art contemporain, les expositions ou les débats autour de l’art. Ces textes ne sont pas nécessairement liés à l’actualité immédiate de l’art. Ils ressemblent à ceux qu’on pourrait trouver dans une revue ou dans des chroniques de la presse traditionnelle.

Les textes factuels sont composés de descriptions des œuvres vues avec souvent l’émission d’un jugement au premier degré (j’aime/je n’aime pas, ça me touche/ça ne me touche pas).

Les textes polémiques ou « anti-institutionnels » revendiquent une approche en marge de l’institution de l’art contemporain. Ils affichent leur défiance face aux médias dominants de l’art (Artpress en tête) et aux structures de monstration de l’art contemporain (les centres d’art subventionnés, les musées, les grandes manifestations de l’art contemporain, etc.). Certains des textes de ces auteurs trouvent d’ailleurs un écho dans la presse contestatrice comme le magazine Artension. C’est notamment le cas pour Le Schtroumpf émergent de Nicole Esterolle[14]. L’auteur y publie des « chroniques » où elle dénonce les impostures de l’art contemporain à raison d’un ou deux billets par mois. Ces textes sont parfois repris dans Artension.

Les textes narratifs ou « littéraires » : il s’agit de textes tentant de parler autrement de l’art contemporain, notamment au moyen d’une invention stylistique ou d’une fictionnalisation de l’appréhension des œuvres (modèle du Salon de 1775 de Diderot, jusqu’au gonzo-journalisme). C’est entre autres le cas du blog Pute et casse-couilles de l’artiste belge Laurent Jourquin[15]. L’auteur y alterne gonzo-récits de ses visites d’expositions et réflexions sur sa propre pratique artistique.

Les textes « spécialisés » s’inscrivent dans des blogs consacrés à une ou des spécialisation(s) au sein même du monde de l’art, mais occupant souvent une « niche ». C’est le cas de blogs consacrés uniquement à des pratiques comme le dessin ou la photographie, ou à des genres comme l’art brut.

Les textes sous forme de liste. Pour cette catégorie, nous n’avons relevé qu’une seule occurrence : Joël Riff, auteur de Chronique curiosité. Son activité consiste à dresser la liste des expositions qu’il a vues sans autre commentaire qu’un chapeau rédigé dans un style littéraire ou poétique mais sans rapport direct avec les expositions citées. Dans d’autres parties de son blog, Joël Riff développe davantage ses visites (photos et courts textes).

 En observant attentivement la plupart des blogs qui ont une activité régulière (plus d’un article posté par semaine), on se rend compte qu’il n’est pas rare que la nature des textes varie. Ainsi, on peut – dans un même blog – avoir des textes analytiques, des textes descriptifs ou factuels. Seuls certains blogs de critiques d’art aguerris comme celui d’Élisabeth Lebovici semblent conserver une unité stylistique (et donc typologique, pour nous) tout au long de leur activité.

Motivations du blog

Comme nous l’avons vu dans notre première typologie, il existe un certain nombre de motivations objectives pour faire un blog sur l’art, comme celle de s’en servir comme vitrine ou d’en dégager un revenu complémentaire. Mais il existe également un certain nombre de raisons moins objectives, davantage liées à une forme de militantisme (le partage du savoir, l’idée de démocratie participative étendue au champ de l’art, etc.) ou à des recherches personnelles ne pouvant se concrétiser que dans l’échange qu’offre a priori Internet.

On peut aussi imaginer que le blog contribue à combler un besoin actuel de circuits courts comme cela se produit dans le commerce traditionnel. Autrement dit, on pourrait tracer une analogie entre ce qui se produit autour des AMAP (groupement de consommateurs autour d’un producteur qui s’engage à fournir une quantité de produit prédéfinie) et certains blogs. Dans les deux pratiques, il y a un public et un producteur qui ont une envie commune de s’émanciper des circuits de distribution traditionnels (la grande distribution dans le cas des AMAP, la presse traditionnelle dans le cas des blogs artistiques). Dans les deux cas, on peut penser qu’il y a aussi une quête de sens, d’un côté autour du geste de consommation et, de l’autre, autour du discours sur l’art.

On pourrait également rapprocher la pratique du blog de celle du fanzine ou de la free press des années 1960-1970, à la différence notable qu’il ne s’agit pas là d’une aventure collective, du moins au premier abord. Au premier abord seulement, car si l’on regarde concrètement la manière dont fonctionnent les blogs – système de liens renvoyant à d’autres blogs du même genre, ponts avec Facebook et/ou Twitter permettant la constitution de communautés had hoc –, il se dégage finalement une « ambiance » rédactionnelle (plutôt qu’une ligne rédactionnelle, qui serait une décision a priori) ressemblant fortement à l’aspect cumulatif qu’on pouvait observer dans la free press ou le fanzine.

Il est aussi envisageable de faire un rapprochement entre les blogs et les radios libres, même si ces dernières étaient une aventure collective. C’est du moins l’une des hypothèses développées par Bonnie A. Nardi, Diane J. Schiano et Michelle Gumbrecht[16] dans un article datant de 2004. Pour eux, la pratique du journal online (online diary) se rapproche beaucoup d’une émission radio, à la fois dans le ton adopté et dans sa forme. Ils décrivent des blogs comme des espaces où leurs auteurs expriment leurs sentiments sur les choses et racontent leurs expériences quotidiennes avec force détails. L’analogie avec l’émission radiophonique reste encore valide car elle se caractérise par une parole sans discontinuer, un choix individuel dans les messages diffusés, un contrôle relatif sur les commentaires (l’aspect « libre antenne » ou « parole aux auditeurs » qu’on retrouve dans les commentaires) et la superficialitéque cela induit dans les échanges[17]. Avec un corpus d’entretiens datant de 2003 (23 personnes âgées de 19 à 60 ans provenant de la même classe moyenne universitaire), cette étude ne peut prendre en compte Twitter et Facebook, qui ont révolutionné ce mode de narration et son usage communautaire.

À ses débuts, le blog apportait la nouveauté du commentaire du lecteur, mais on se rend compte que les commentaires sont rares ou qu’ils relèvent d’une autocongratulation d’une communauté de blogueurs partageant les mêmes opinions et n’hésitent par ailleurs pas à attaquer violemment tout avis contraire au leur dès qu’il se fait entendre dans les colonnes des commentaires. De ce point de vue, on se rend compte que la généralisation de Facebook permet une lecture « off » des blogs. En effet, il n’est pas rare que les commentaires les plus intéressants sur un article ne soient pas postés sur les blogs eux-mêmes, mais sur la page Facebook de leur auteur ou de ceux qui les citent. Comment expliquer ce besoin de privatisation des commentaires alors même que l’occupation de l’espace public semble être un des enjeux des blogs ? Une hypothèse serait que Facebook – avec son accès restreint aux seuls « amis » – offrirait aux blogueurs un espace de test pour affûter leurs arguments avant d’en proposer une version plus élaborée sous forme d’articles.

Conclusion

Il est, pour le moment, trop tôt pour savoir si la pratique de la critique d’art sur le web représente un bouleversement dans cette activité, voire du métier dans son ensemble. L’apparition de ce nouvel usage en lien avec le monde de l’art a permis de faire émerger de nouveaux types de discours prétendument plus spontanés ou moins formatés (en terme de style, de format de texte, d’iconographie, etc.) que ceux qu’on trouve dans les colonnes des journaux et des magazines consacrés à la création contemporaine. La période que nous vivons représente une sorte de flottement où chacun essaye de poser les balises à la fois d’un usage singulier d’une parole sur le web, et du monde de l’art dans le contexte d’Internet. À bien des égards, cette période pourrait ressembler aux prémices de la critique d’art, alors que des « plumes » s’essayaient à l’exercice du compte rendu de Salon. Au18e siècle, les ambitions des auteurs étaient diverses, mais ce qui les rassemblait était la volonté de porter une parole publique sur l’art de leur époque, que celle-ci soit journalistique, esthétique, historique, sociale ou ironique. Mais même si la posture de l’« amateur » était populaire chez les critiques d’art du début du 18e siècle, la profession s’est rapidement structurée et le type d’écriture pratiqué est devenu un genre en soi. Le mode d’apparition des premiers critiques d’art et celui des blogueurs actuels admettent alors quelques similitudes : comme la critique de Salon a vu se multiplier les profils d’auteurs (journalistes, écrivains, politiciens, polémistes, satiristes, etc.), de même les blogs sur l’art expriment-ils divers types d’engagements de la part de leurs auteurs. Mais comme cela s’est produit pour la critique d’art, on observe que ceux qui poursuivent leur activité avec régularité répondent finalement à un profil assez uniforme. Reste à déterminer ce que la blogosphère artistique peut apporter au discours sur l’art actuel, et dans quelle mesure les blogueurs sont à même d’alimenter un débat qui semble limité à la portion congrue dans la critique d’art « papier ».

 

Maxence Alcalde

Catherine Meurisse, Le Pont des arts, Paris, Sarbacane, 2012.

Catherine Meurisse, Le Pont des arts, Paris, Sarbacane, 2012.

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Marc Lenot « Lunettes Rouges » : http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr

Marie Deparis-Yafil : http://mariedeparis-yafil.over-blog.com/

Thierry Hay : http://culturebox.francetv.fr/le-blog-de-thierry-hay/

Claude Guibert « Chroniques du chapeau noir » : http://imago.blog.lemonde.fr/

Marie de la Fresnaye : http://beautifulanddelights.blogspot.fr/

http://tranversales.blogspot.fr

Élisabeth Lebovici : http://le-beau-vice.blogspot.fr/

Joël Riff « Chronique Curiosité » : http://chroniquecuriosite.wordpress.com/

Anne Kerner : http://www.ouvretesyeux.fr/

Maxence Alcalde : http://osskoor.com/

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[1]              Les rapports annuels « State of Blogosphere » depuis 2004 sont disponibles sur le site http://technorati.com

[2]              La première interphase de blog grand public Blogger date de 1999 et on assiste à l’explosion de la création de blogs en 2004-2005, date où apparaissent le plus d’articles sur ce phénomène. 2006 marque un tournant avec l’apparition de réseaux sociaux comme Facebook et Twitter.

[3]              « Journal extime » par opposition au « journal intime » dont l’essence est de se cantonner à une écriture souvent secrète et une consultation privée (Sébastien Rouquette, « Les blogs “extimes” : analyse sociologique de l’interactivité des blogs », tic&société. [En ligne], Vol. 2, n° 1 | 2008, mis en ligne le 13 octobre 2008 (consulté le 12 octobre 2012). URL : http://ticetsociete.revues.org/412).

[4]              « La critique d’art sur Internet », table ronde organisée par Jens Emil Sennewald à l’Institut suédois de Paris avec Erlend Hammer (rédacteur en chef de la revue scandinave Kunstkritikk), Émilie Bouvard (rédactrice en chef du site Portraits), Christian Gattinoni (rédacteur en chef de la web-revue lacritique.org), Jean-Louis Poitevin (rédacteur en chef de la web-revue TK-21.com) et Philippe Régnier (directeur de la rédaction du journal électronique Le Quotidien de l’art). Un compte rendu détaillé de cette rencontre est disponible sur http://osskoor.com/tag/jens-emil-sennewald/ (consulté le 30 mars 2013).

[5]              Terry Teachout, « You, Too, Can Be a Critic. Regional arts journalists now have competition — the “artblog” », Wall Street Journal, 12 novembre 2005. <http://online.wsj.com/public/article/SB113174284984295097-9ZWbjroExleCWcCdIwgdCnCIjrY_20061112.html?mod=blogs&gt; (consulté le 21 février 2013).

[6]              Le « plus ou moins » se réfère ici au statut professionnel des rédacteurs qui peuvent être de simples stagiaires chargés d’alimenter un site en informations brutes (communiqués de presse, annonces, images, etc.) jusqu’aux journalistes culturels ou critiques d’art salariés par le site pour lequel ils écrivent.

[7]              L’ensemble des données suivantes proviennent du rapport 2011 de Technorati http://technorati.com/social-media/article/state-of-the-blogosphere-2011-introduction/

[8]              http://crennjulie.wordpress.com/

[9]              http://le-beau-vice.blogspot.fr/

[10]             http://tristantremeau.blogspot.fr/

[11]             http://heterotopiques.blogspot.fr/

[12]             http://paulardenne.wordpress.com/

[13]             http://crennjulie.wordpress.com/

[14]             http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/

[15]             http://puteetcassecouilles.wordpress.com/

[16]             Bonnie A. Nardi, Diane J. Schiano et Michelle Gumbrecht, « Blogging as Social Activity, or, Would You Let 900 million People Read Your Diary ? », CSCW’04, Vol. 6, n° 3, Chicago, Illinois, USA, novembre 2004, en ligne :

http://www.darrouzet-nardi.net/bonnie/pdf/Nardi_blog_social_activity.pdf (consulté le 21/02/2013)

[17]             Bonnie A. Nardi, Diane J. Schiano et Michelle Gumbrecht, art. cit., p. 230.


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